Les
géants du IT regardent de prêt l’agriculture.
Google Ventures, le bras armé de Google en
matière de capital risque a piloté une levée de fond de 15 millions de dollars
pour FBN : Farmers
Business Network . FBN est une petite startup basée à San Francisco
qui a été cofondée par un ancien responsable de Google. Son savoir faire réside
dans la compilation de méta-données (big-data) pour piloter les cultures et
améliorer les rendements. Ces données sont disponibles à la fois chez l’agriculteur
via ses déclarations et différents capteurs ; FBN utilise aussi les
données disponibles en open data, les données météo par exemple. La société
vend ensuite ses conseils aux agriculteurs pour optimiser les rendements, faire
des économies sur les intrants et veiller à l’environnement. De la même façon
Mansanto à repris il y a deux ans à peine une autre startup œuvrant sur le même
domaine : Climat corporation pour près
d’un milliard de dollars. De son coté John-Deere investit beaucoup dans le
domaine du numérique agricole sans pour le moment vouloir s’impliquer dans le
conseil (pour le moment…)
Les
ambitions de Google.
Google ne cache pas avoir des ambitions
sociétales d’amélioration des conditions de vie sur la planète. L’agriculture, l’alimentation
et la santé seront des enjeux du 21eme siècle, il n’y a donc rien d’anormal au
fait que Google ai envie d’y investir. C’est ainsi que Google Ventures a
également misé sur Impossible food
une jeune société californienne fondée par un médecin biologiste de
l’université de Standford. « Impossible food » développe des
Hamburgers et des fromages à base de plantes. Cette approche peut pour
l’instant nous faire sourire mais le pari est simple : le végétalisme
gagne du terrain et il y a un business qui va se développer ! Google de la
même façon investit dans la santé, il dispose d’une équipe de recherche dédiée
à la E-santé. Cette équipe travaille au seing d’une division baptisée Live
&science dans son laboratoire secret connu sous le nom de Google X. En
matière de couverture numérique, Google via le projet Loon, veut développer
l’accès à internet dans les contrées les plus reculées de la planète. Google
est donc présent sur l’ensemble des besoins : la couverture numérique, la
E-santé, l’agro-alimentaire et maintenant le conseil pour la production
agricole.
Que
devons nous en penser ?
D’abord que Google a tout compris mais ce
n’est pas là un scoop. Nous pouvons voir ces investissements avec amusement,
après tout Google a assez d’argent pour afficher ses ambitions sociétales en
investissant dans toutes sortes de métiers. Je pense qu’il nous faut voir les
choses autrement. Google a compris, à la fois les enjeux et les attentes des
gens que ce soit dans leur vie privée ou pour les usages professionnels. Google
se fait alors le catalyseur des envies et des besoins en offrant les services nécessaires
à tout un chacun. Le géant du net se trouve au centre du dispositif étant
détenteur de la plateforme compilant les données numériques. La question n’est
pas alors de savoir à qui appartiennent ces données mais bien de savoir ce qui
peut en être fait. Les données n’ont de valeur que par les algorithmes qui les
mettent en œuvre et l’usage des OAD (outils d’aide à la décision) qui en
découlent. Dans le domaine agricole, les
usages peuvent être multiples : de la gestion des risques à la R&D, du
conseil à la formation et du marketing au financement ; celui qui maitrise
les données à le pouvoir décisionnel. Nous
devons regarder cela avec lucidité et pragmatisme.
Ce
qu’il ne faut pas faire ?
Notre penchant naturel à vouloir régler toute
choses en nous protégeant par des réglementations et des lois va nous conduire
à mettre des gardes fous pour ne pas être envahis. Pas sur que cela ne serve à
grand chose, le monde a changé ! Cette approche risque plus de nous
handicaper que de nous aider. Google est puissant parce qu’il possède une
quantité énorme de données dont il a la disponibilité, nous ne pourrons pas
verrouiller l’ensemble des données qu’il possède. Il est également puissant
parce qu’il offre une quantité énorme de service de toute sorte pour nous
faciliter la vie et cela le plus souvent gratuitement. C’est ce qui fait dire à
certains : « quand c’est gratuit, la monnaie, c’est
vous ! ». C’est ainsi que nous apportons nos données numériques à la
plateforme Google (il en va de même pour Facebook, Apple et Amazone, ils
forment avec Google les GAFA). Les données sont chez eux et la question n’est
pas de savoir qui est propriétaire de ces données, elles n’ont de valeur que si
elles sont mises en œuvre. La troisième force de Google et des GAFA est de mettre
ces données à disposition dans des conditions qu’ils définissent pour réaliser
des applications. Ces applications vont générer d’autres données qui viendront
encore alimenter leurs plateforme. C’est ce qui fait émerger nombre de startups
dopant ainsi l’économie.
Alors
que faire ?
Trois choses doivent être mises en œuvre :
D’abord, à l’instar de Google, nous devons
regarder les mutations qui s’opèrent autour de nous, entendre les signaux
faibles que la société nous envoie, analyser ces signaux faibles et anticiper.
Entendre les signaux faibles est important pour appréhender les marchés du
futur. Ce n’est pas forcement ce que pensent les gens ou ce qu’ils disent à
l’instant T qui a de l’importance mais la projection dans l’avenir des
tendances qui se dessinent. Le marché sera capté demain par ceux qui l’auront
compris. Ceux qui n’auront pas su anticiper seront tributaires de décisions
prises ailleurs. Le monde agricole en a déjà trop souffert, c’est ainsi que
nous sommes actuellement sous dictat des géants de la distribution imposant des
prix toujours plus bas. Si nous n’y prenons garde, les détenteurs des données
nous imposeront demain des décisions que nous devrons appliquer.
Nous devons aussi prendre conscience de nos
richesses numériques et nous mettre en situation de les faire fructifier. Nous
possédons une quantité énorme de données sur nos exploitations. Elles sont éparpillées
dans différents endroits, en silos souvent étanches qui ne se parlent pas entre
eux. Nous avons des données sur les bases des Chambres d’agriculture, de notre
centre de gestion, de notre coopérative etc. Les organismes à qui nous confions
ces données ferment les bases de stockage sous prétexte de protéger ce qu’elles
contiennent. D’autres données concernent la recherche, les expérimentations, la
génétique… elles sont tout aussi verrouillées. En réalité ce qui nous semble
être une protection enlève l’essentiel de la valeur à ces données. Nous devons
rendre ces données interopérables pour constituer une plateforme commune. Si elles
sont disponibles sur une même plateforme, les algorithmes qui vont les mettre
en œuvre seront plus puissants et les OAD plus fiables.
Le troisième élément est dans la mise en
œuvre de ces données, nous devons les ouvrir autant que faire ce peut avec des
règles définies préalablement ; ainsi nous attirerons à nous des
compétences. Les entreprises qui gravitent autour des GAFA répondent à des
modes de fonctionnement différents de ceux auxquels nous sommes habitués. L’interopérabilité
et l’ouverture sont essentielles pour faire progresser de façon exponentielle
les données disponibles sur la plateforme. Les monnaies d’échange répondent à
de nouveaux codes qui doivent être gagnant-gagnant. C’est pourquoi le
verrouillage, la protection, la réglementation ne sont plus des solutions
adaptées aux nouvelles problématiques.
Notre
destin est entre nos mains
Nous serons maitre de notre destin si nous
prenons les bonnes décisions. Nous sommes désormais dans un monde en
transition. Comme toute transition, celle que nous vivons passera par les trois
étapes de tout changement. Le changement génère d’abord l’hilarité de ceux qui
feignent de le voir, nous en sommes parfois encore là et ces quelques lignes
vont peut-être conforter cela. Vient ensuite le temps de la panique, de la
colère avec la prise de conscience de ce que l’on considère alors comme un
danger mais le danger n’est pas dans le changement quand on le découvre mais
dans le fait de ne pas le découvrir à temps. C’est là que l’on essaie de mettre
en place des digues de protections, mais que peuvent des sacs de sable face à
un tsunami ? Quand la tempête est passée chacun s’approprie le changement
et il sort un monde nouveau. Celui que nous commençons à voir se dessiner est
une renaissance 2 .0. Comme toute renaissance elle aura ses champions, il
est sûr maintenant que Google et les GAFA seront parmi ces champions. Il ne
tient qu’a nous que nous puissions en être aussi, nous avons des atouts pour
ça.
Alors la réponse à la question du départ est
simple : Oui demain les agriculteurs seront maitres de leur destin… si
nous nous en donnons les moyens !
Hervé Pillaud